Immersion

Dax -  les lions de la Fontaine Chaude
Dax - les lions de la Fontaine Chaude
La fin de l’été nous étouffe de ses canicules à répétition d'arrière saison dont elle a le secret.
Et moi j’ai quitté la douceur et la fraîcheur relative de ma colline.
J’ai laissé le calme, les soleils couchants dans des cieux changeants, couleur de mauves pâles et de poudre rosée. J’ai laissé Lou, le jardinet, le muntjac craintif mais curieux, les dernières cigales.
Quand je reviendrai leur chant aura cessé et elles seront mortes.
Après être partie avec Fleur et Lou dans le sud de la France, rejoindre pour trois jours la famille de Lou, j’ai préparé ma valise pour trois semaines d’absence. Et d'épreuves.
Je suis partie "prendre les eaux" comme l’on disait à la Belle Époque.
Et cela fait déjà dix jours que je prends les eaux. Ou plutôt que les eaux me prennent. Bains de bulles bouillonnantes, gymnastique en piscine, douches sous-marines, douches térébenthinées et par dessus tout ça des applications chaudes, gluantes et odorantes de boue.
Je suis dans les Landes, dans la ville thermale de Dax. 
Accueillie par des températures extérieures de plus de 38 degrés, je découvre cette ville aux eaux bouillantes et au Peloïde* réputé

 

* du Grec, pélos (noirâtre) et eidos (aspect).

"Péloïde" à l'état naturel dans le "trou des pauvres" (Dax)
"Péloïde" à l'état naturel dans le "trou des pauvres" (Dax)
Je découvre surtout la vie de curiste mêlée à d’autres curistes plutôt désargentés. J’ai loué un petit studio non loin du cœur de ville. A quinze minutes à pied des thermes, que j’ai choisis un peu à pile ou face : ceux de L’Avenue.
Je m'initie aux rituels du parfait petit curiste. Les “grands curistes”, sont ailleurs, dans de luxueuses résidences pieds dans l’eau si l'on peut dire, surtout situées à l’autre Dax : le Saint-Paul-les-Dax. 
On ne mélange pas les torchons et les serviettes.
Les serviettes, justement, on nous les fournit. Gracieusement. Je devrais dire la serviette. Elle fait la matinée, d’un soin à un autre. On nous fournit en même temps un peignoir blanc dans lequel nous déambulons plus ou moins hagards, fantômes blafards, dans les couloirs surchauffés et humides dans un bruit de soufflerie, de ressacs et de vagues, de jets sous pression et de sonneries de minuteurs.
Les baigneuses et les boueuses s’agitent parmi nous. Toujours souriantes et distribuant à tout-va, du bonjour madame X et bonjour Monsieur Y. Dans ce va et vient incessant de termitières en ébullition, nous, sortes de grosses larves blanches, un peu inertes, sommes pris en charge par une armada d'ouvrières hyper actives.
Je dis ouvrières car, dans cette ruche bourdonnante, hormis les animateurs de la gymnastique en piscine, les masseurs en cabine, et un stagiaire boueur de 19 ans, un peu paumé, je n’y ai vu aucune "ouvrière" mâle.
Nous, les fantômes larvaires tout de blanc couvert, nous nous saluons tous les matins, en nous croisant dans les couloirs ou à la sortie des cabines de soins : certaines têtes nous sont déjà devenues familières. D'autres feront mine de nous ignorer tout au long du séjour. D'autres encore ne quitteront pas leur masque de bouledogue ronchon prêts à mordre !
La "lingère" et ses valets rouges
La "lingère" et ses valets rouges
Après le bonjour toujours souriant et alerte de la lingère à l'entrée qui, inlassablement nous fournit un valet de plastique rouge avec son bracelet numéroté, à porter là où l’on veut, à condition de ne pas le perdre, un peignoir blanc et une serviette blanche elle aussi, tout propres, nous disparaissons dans les cabines du “vestiaire”.
Les portes claquent. Personne ne semble y prendre garde.
Je range mes chaussures. Enfile mes tongs dédiées, et ôte tous mes vêtements. Le premier soin c’est “la boue”.
La dame préposée à ce soin, on nomme ces dames du nom peu élégant de “boueuses”, s’appelle Josiane.
Elle m’a conseillée, si cela ne me gênait pas d'effectuer ce soin, nue. Ainsi c’est plus efficace. Donc, pour être prête à l'application de Peloïde, je me dénude complément avant d’enfiler mon peignoir.
Il est  petit. À cause de ma taille évidemment.
Mais du coup il ferme mal, car depuis que mes vertèbres ont craqué, les muscles du dos et de l'abdomen ont lâché et j'ai la forme d'une grosse bonbonne... Je dois donc l’ajuster correctement et bien nouer la ceinture avant de déambuler dans les couloirs.
Puis, en marche vers les cabines de "la boue".
Il faut d'abord longer le grand bain au plafond étoilé de loupiotes aux couleurs changeantes : piscine dite de "mobilisation" ou "d’évolution", puis les saunas luxueux mais toujours déserts le matin (les soins sont réservés aux "curistes" payants de l'après-midi), les cabines des masseurs, celles d’hydromassage ou aéro-bains, et au fond du long couloir en T, ponctué de plantes tropicales et autres bambous en plastique, les douches térébenthinées et les étuves vers la gauche et à droite, "la boue".
Tout droit et en face un escalier monte à l’étage, vers les salles de repos et tout au fond le couloir de marche pour les soins de phlébologie. Un soin qui n'est pas sur mon planning : je suis en "orientation rhumatologie" uniquement. Et c'est bien assez.
Ce n'est finalement pas trop difficile de se repérer, même si au début c'est plutôt déstabilisant et assez mal expliqué. 

 

Les premiers jours on croise de pauvres hères désemparés consultant leur planning glissé dans le porte carte de plastique blanc donné par l'accueil administratif des thermes, qui cherchent en aveugle l'endroit du soin - dont la dénomination technique n'est pas encore familière - qui les attend.
La plupart n'osent pas demander leur chemin. Ils marchent en traînant la savate, le nez en l'air, l’œil inquiet, perdu.
La table d'application du péloïde prête à l'emploi
La table d'application du péloïde prête à l'emploi
Après avoir salué un monsieur qui ressemble à De Niro, toujours assis au même endroit chaque matin depuis dix jours et qui attend sa grosse madame, qui malgré un œdème sévère qui lui donne un look hippopotamesque, est toujours très souriante, avec un bon visage rond lisse et enfantin, je m'installe sur ma chaise de plastique blanc.
J’attends Josiane.
Sagement.
Elle ne tarde pas. Il faut arriver un quart d'heure avant mais Josiane est une petite souris pressée ! Elle déboule, toujours en avance et me fait vite entrer.
C'est laid. Très laid. 
On est bien loin des photos glamour des dépliants publicitaires !
Des carreaux blancs que la boue vert foncé, presque noire, a fini par teinter d'un marron verdâtre, surtout sur les joints, une chaleur suffocante où se mêle cette odeur caractéristique de vase et d'algues, une table de soin recouverte d'un film plastique opaque (j'apprendrais qu'il est fait à partir de fécule de pommes-de-terre donc parfaitement biodégradable), et une tuyauterie digne d'un ventre de géant ! 
Intestins grêles et gros intestins, entourés d'inox, et qui courent en borborygmes, gargouillis et flatulences sonores et obscènes, entre plafonds et faux plafonds. 
Les bacs - étuve - où attendent nos seaux de boue, en résine blanchâtre, et personnels, et les jets d'eau des "douches"
Les bacs - étuve - où attendent nos seaux de boue, en résine blanchâtre, et personnels, et les jets d'eau des "douches"
Le seau qui m'est destiné et qui sera "mon" seau tout le long de la cure, en résine blanc marron, plein à ras-bord de Peloïde fumante, est déjà sorti de l'espèce de coffre étuve dans lequel il est mis au chaud. Une étiquette avec l'heure du soin est plantée dans la boue. Brillante et lisse.
En un tour de main Josiane en sort quatre paquets qu'elle projette, comme du ciment avec une truelle (mais sans truelle) sur le drap de plastique.
C'est sur ce matelas à environ 40° que je pose, précautionneusement, mon dos.
Ensuite cela va très vite. Un paquet sur ma hanche sur laquelle Josiane plaque mon bras avant d'ajouter un autre paquet sur le coude puis le poignet et la main. Elle enrobe ensuite l'épaule.
Puis, un paquet sur le genou un autre sur la cheville. Et elle procède de même de l'autre côté. On ne touche pas à mon bras gauche, celui qui a subi un curage axillaire : il ne lui faut pas de grosses chaleurs. Cela pourrait déclencher un "gros bras". Le médecin thermal, que j'ai entrevu au moins dix minutes une première fois, pense que ce sont des précautions sans fondements. des trucs de "bonne femme" quoi, sans doute... Mais la boueuse, l'infirmière et moi-même ne prenons pas ce risque inutile.

 

Pour terminer Josiane m'enveloppe avec le film plastique sur lequel je suis allongée, après avoir déposé des compresses froides sur mon front, mon cœur et mes tibias, et me laisse ainsi mijoter comme une vulgaire papillote au four, pendant un bon quart d'heure.
Je reste ainsi étendue, immobile, dans mon coffrage de boue, chaude comme un ventre maternel... mon regard glisse et se perd dans les énormes tuyaux au-dessus de moi, j'écoute les ronflements de la vapeur et de l'eau, je me prends à être Robinson Crusoë dans sa grotte de fange, sa souille tiède, tel que l'imagine Michel Tournier dans son Vendredi ou La Vie Sauvage. Je suis en nage...
 
Mais le minuteur sonne et l'on vient m’extraire de ma torpeur, ruisselante de sueur et gluante de péloïde noirâtre, pour me glisser sous la douche.
Les boueuses courent presque.
Je ne sais toujours pas pourquoi car elles sont finalement toujours en avance sur l'horaire. Finissent-elles ainsi avant leur heure ? Je ne sais pas, mais elles s'affairent.
Application du péloïde au début du XXe et dans les années 60 (carte couleur) 

Je reste le plus longtemps possible sous cette eau thermale, qui coule à flot, à la fois flasque et drue, puissante et molle. J'ôte méticuleusement toute la boue de mon corps. Josiane termine ma toilette au jet d'eau comme si j'étais une vulgaire voiture, et elle termine par le dessous de mes pieds, avant de me tendre une serviette bien chaude.

J'enfile mon peignoir. C'est terminé : je ressors tout embuée et ramollie.

 

C'est souvent alors le temps pour quelques-uns et unes d'entre nous, de passer sous la douche térébenthinée : brumisante et aux senteurs de pins. Un délice. 

Elle est projetée mécaniquement par de petites buses fixées au fond de la cabine et réglées depuis l’extérieur par la baigneuse.

C'était plus compliqué autrefois...

De nos jours, en quelques minutes, c'est chose faite et nous partons alors vers la salle de repos obligatoire après "la boue".

 

Les salles de "repos" sont au premier étage des Thermes de l'Avenue.

Elle se composent d'un salon avec fauteuils pour ceux qui préfèrent rester assis et lire ou causer à voix basse, de deux pièces fermées où l'on se détend davantage car les chaises longues nous y incitent, et d'une terrasse de style plus "grand hôtel".

Cette dernière est prise d'assaut par les adeptes de la bronzette à tout prix. Je n'y suis jamais allée. Pas de place. Et trop de soleil pour moi, de toute façon.

 

Je lui ai préféré la grande salle de repos, où je m'étendais près d'une fenêtre entrouverte sur le ciel, les pigeons et une sorte de mirador, cube blanc claquant sur un ciel qui fut immuablement bleu tout au long des trois semaines de la cure.

 

J'avais au préalable, depuis ma colline, enregistré sur mon téléphone à tout faire quelques cantates de Jean-Sébastien Bach, la musique du thème central de (l'excellente série) Kaamelottet surtout l'exercice de visualisation, "dialogue avec les cellules" de Pierre Lessard et Guy Corneau, que m'avait conseillé mon petit frère lorsqu’il avait appris que j'avais un cancer. Merci à lui.

 

Frissons de bonheur intime et intense, dans mon cocon de paix et de méditation. 

 

J'ai compris là, dans ce huis-clos avec moi-même, que je devais vivre ma vie telle que mon corps me la réclame et me la propose : toute en chant, danse, calme, lenteur. Par petites touches. Par petites bulles. Eclats de luciole...

Sans plier indéfiniment. Jusqu'à la rupture.

Au risque de ne pas plaire.

 

Après le repos et la relaxation, le recueillement sur soi, les soins se poursuivent dans une palette aquatique allant de la gymnastique en piscine, aux aéro-bains, en passant par les massages et les douches sous-marines.

 

A midi passé je sors sur un petit nuage !

Et j'ai faim !

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Le Péloïde de Dax : Terdax
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