Nous nous faisons à cette petite vie de recluse, dans la chambre double tout au fond du couloir, rythmée par les soins qui ne cessent de nous éveiller, bruits et portes qui claquent, rires tonitruants... La pendule rouge aux gros chiffres blancs nous surveillent et comptent heures et minutes. Elle me fait loucher un peu parfois. Elle étire le temps, le rend élastique, le compresse ou l'allonge.
A cinq ou six heures du matin passe la "garde de nuit" : dernière tournée avant la relève du matin.
Les constantes : température, pression artérielle pouls. Juste assez pour finir de nous réveiller complètement. Dans le lit à côté Mamie Paulette fait de petits bruits, allume sa lampe et regarde son réveil.
"Vous avez bien dormi ?" Question rituelle et mutuelle que nous nous posons tout en en connaissant la réponse.
Oui, nous avons bien dormi. J'ai eu besoin du bassin une fois. Mamie trois fois. On a changé les poches de ma perfusion vers minuit. Mamie Paulette, un peu plus tard... Mais c'est normal et nous acceptons cette contrainte de bon cœur et sans fausse pudeur. Nous voyageons dans la même galère, emportées par des vents gris et tiédasses.
Nous repartons alors pour quelques heures de sommeil grappillées avant le petit déjeuner.
Mais c'est à cet instant précisément à et six heures du matin que chaque jour démarre un incompréhensible vacarme assourdissant qui demeurera longtemps pour nous deux, un mystère : le bruit d'un énorme chantier, que nous ne nous expliquons pas car il n'y a aucun chantier au bas du bâtiment. Et pourtant, ronflement de moteur de camions, grincement de ferraille et de pneus, appels, palette de parpaings ou de carrelages que l'on décharge à grand bruit, des ouvriers crient, s'interpellent, gyrophare, klaxon et "bip bip" de recul...C'est Mamie Paulette qui découvrira la clé du mystère en regardant un matin par la fenêtre dont le store avait été relevé.
Ce vacarme épouvantable, ce n'est rien d'autre que le fonctionnement du "ventre" de la clinique. Ce sont des livreurs, de nourriture, de plateaux, pains, déjeuners, va et vient de wagonnets de linge sale et linge propre.... poubelles et déchets triés et multiples...
Et puis, un jour, docteurs et infirmières sont venus annoncer à Mamie Paulette sa sortie de la clinique.Nous avions presque oublié que cet enfermement avait une fin. Qu'il n'était pas une fin en soi.
Elle va revenir chez elle, ils vont repartir ensemble, bras dessus bras dessous, avec la petite valise de Mamie son ensemble de laine rouge et sa grosse veste que Camille veut qu'elle porte : il a peur qu'elle ne prenne froid.
C'est "l'Hospitalisation à Domicile (l'H.A.D.) qui prendra la relève et viendra les voir tous les jours chez eux, et s'occupera des papiers, des rendez-vous etc.
Nous nous embrassons.Nous pleurons en nous souhaitant bon courage et le meilleur pour le futur. Echange d'adresse et de numéro de téléphone...
C'est alors que je réalise que sa place dans cette chambre va être prise par une autre personne !
Partager des chambres dans un service d'oncologie est déjà une sorte de double peine... Partager... avec qui ??? Et comment ? J'ai entrevu ce que cela donnait le premier soir.
Partager les coups de fil. Ceux que l'on donne et ceux que l'on ou reçoit le soir, à l'heure du crépuscule quand le ciel s'obscurcit et les pensées aussi. Accepter l'idée que le "partageant" partage aussi ces moments qui ne regardent que nous.
Partager les conversations lors des "visites"... Les cris des enfants, loin d'être tous suffisamment éduqués, et qui braillent en sautant sur les lits (si, si cela arrive). Accepter la télévision à toute heure du jour... ou de la nuit, et les émissions imposées par des personnes peu respectueuses des autres. Accepter d'utiliser à la vue, à l'odorat et à l’ouïe de tous, des bassins, mais aussi des chaises percées, ces sortes de "trône" à tête de vache blanches, avec leur grandes cornes qui nous avaient fait beaucoup rire...
Mais qui me font moins rire ce soir...
C'est aussi accepter et respecter la tristesse, la douleur, les pleurs et sanglots, mais aussi supporter les rancœurs et récrimination des familles.
Partager une chambre en service oncologie, c'est tout cela Et c'est sans doute plus difficile qu'ailleurs.
Je fais alors la demande d'une chambre individuelle.
On me répond, bien sûr, qu'il n'y en a pas. J'insiste tellement que finalement on m'en trouve une. Juste en face !
Il y a eu un "départ" dans la nuit.
Evidemment ce sera plus cher. Tout ici passe par le tiroir caisse.
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