Je ne sais plus vers quoi, je me dirige, ni vers où. Je ne sais plus vers quoi, ON me dirige.
Je porte mon fardeau, obstinément. Petite fille sage. Trop sage ? Le Dr Hachmi m'envoie vers la radiothérapie. Des rayons. Encore. Sur les six vertèbres dorsales, de la D6 à la D 11.
L’objectif est de réduire les douleurs. Je ne sais si je dois y croire, ou subir cette nouvelle irradiation en espérant je ne sais quelle improbable amélioration. Je ne vais pas guérir de toute façon. Alors souffrir, encore et encore : à quoi bon ? Sur ce chemin où les lucioles se sont éteintes d'un coup, ce sentier de lumières que l'hiver a effacées, que reste-t-il ? des broussailles humides, des brumes laiteuses et des pleurs qui me serrent la gorge. Car je perds pieds. Je me noie, ma boussole n'indique plus rien. Du flou, des horizons brouillés. J'avance à tâtons, à moins que je ne recule, ou tourne en rond ?
Clinique du Pont de Chaumes
C'est une petite clinique. Son seul avantage est qu'elle possède un "petscan" et un accélérateur linéaire de particules. En d'autres termes, la machine à irradier, celle plus, ou moins avec laquelle j'avais fait connaissance en 2015 et que je pensais ne plus revoir.
Cette clinique est en relation avec l'hôpital de Cahors et son service d'oncologie et c'est pour cette raison que l'on m'y envoie : afin que mes soignants soient en contact les uns avec les autres.
Tant pis pour les trois heures de trajet que je vais devoir encaisser chaque jour. Pendant dix jours.
Cette clinique a été rachetée par un groupe quelconque qui fait plus dans le business et la rentabilité que la santé des patients. Personnel en surcharge, matériel vieillissant non remplacé... Un monde que je savais "en crise" mais que je vais découvrir depuis l'intérieur.
Je passe mes cinq premières séances : mon état de santé s'effiloche. Chaque jour un peu plus. Des montagnes de fatigue m'abrutissent. J'ai de plus en plus de nausées et il m'arrive de vomir sur la route du retour malgré des chauffeurs qui font ce qu'ils peuvent. Dos et côtes me font de plus en plus mal. Les six premières dorsales brûlent. J'en informe le radiothérapeute. Qui comprend mais n'a pas de solutions. Le service d'oncologie est trop petit et il ne peut pas me recevoir. Pas de lits disponibles !
Je réclame malgré tout une hospitalisation : je ne peux plus faire les trajets. Trois heures de routes par jour, sinueuses, cahoteuses puis l'autoroute : c'est trop ! tout cela jour pour faire diminuer les douleurs dues aux métastases osseuses sans les traiter pour autant...
On me promet un lit sur une "liste d'attente". Autrement dit : rien.
Le lundi matin, toujours rien.
Lou appelle la clinique et affirme que je ne continuerai pas les rayons si une solution m'évitant les trajets n'est pas trouvée.
Urgences
La solution trouvée tient de la bricole ou de la magouille : on me conseille d’aller aux urgences où, soit-disant "on" a averti de mon arrivée et transmis mon dossier.
C'est justement le jour où les agriculteurs du Tarn et Garonne et de la région de Montauban se mettent à bloquer les routes : tracteurs, fumier, pneus en feu et en fumée.....
J'ai des nausée, depuis une petite heure et tente de les calmer en respirant de l'huile essentielle de menthe. Mon chauffeur, une dame, et moi, nous voici prises dans un embouteillage dont visiblement nous ne sommes pas prêtes de sortir !
Ni une ni deux, mon chauffeur pragmatique et qui n'est pas à court d'idées, appelle les gendarmes qui nous renvoient sur les pompiers !
Une demi-heure après une ambulance de pompiers vient me prendre en charge : transfert sur un parking de fin de rocade. Mon chauffeur peut repartir et moi je suis emmenée à coups de pim pom vers la clinique, où, bien sûr personne ne m'attend et où je suis accueillie froidement et avec un énorme cathéter que l'on me plante dans le bras alors que je fais valoir que j'ai un "Porth-à-Cath¸®" prévu à cet effet.
Bienvenue dans l'univers hospitalier.
Il est environ 15 heures et j'ai encore tout le temps pour avoir ma séance de rayons telle que pogrammée (16 heures).
Mais pour je ne sais quelle raison, l'on traîne, l'on remplit des papiers, un docteur se présente, puis un autre, puis un troisième, et l'on revient m'interroger sur les circonstances qui m'ont amenée là : tension entre infirmiers, docteurs et urgentistes...et moi, bonne fille patiente, de raconter ma petite histoire. L'heure tourne. Evidemment je ne suis pas une "urgence" et en suis bien consciente.
Il est 19 heures lorsque le docteur de garde du service oncologie vient me consulter, et me dire que l'on m'a trouvé une chambre dans le service. Au même moment deux brancardiers viennent me chercher pour me transporter en "radio". Le docteur, une dame à la fois souriante et autoritaire, répond "non. Elle n'est pas en état."
On me "brancardera" finalement, jusqu'à la chambre 375 au troisième étage du service déjà plongée dans la nuit.
Je n'aurai pas de repas... car il est 18 h passées et l'heure des plateaux pour ce soir est terminée.
En revanche, j'aurai droit à une entrée fracassante. Et c'est presque le mot juste.
L'infirmière qui m'accueille en se vantant très haut et très fort auprès de sa collègue, d'avoir "fait 30 ans aux urg'... et oui ! ma belle qu'est-ce que tu crois ! ".... vient de lâcher, lors de cette manœuvre hasardeuse, le coin du drap quelle tenait afin d'effectuer le transfert d'un lit à l'autre, et j'effectue alors un roulé boulé presque parfait, manque atterrir par terre et me retrouve sur le lit, cul par-dessus tête, culotte d'hôpital en papier bleu à l'air !!! Je crie. Non seulement parce que j'ai mal, évidemment, mais aussi parce que je suis je suis furieuse. Le brancardier ne demande pas son reste et s'enfuit.
Pour se faire pardonner l'infirmière m'apporte... une compote... qu'hélas je vomirai dans les minutes qui suivent : conséquence probable du cachet et du patch de DUROGESIC® une drogue cinquante fois plus puissante que l'héroïne et cent fois plus puissante que la morphine...) et à laquelle je suis totalement intolérante : information que j'ai donnée mais dont personne ne semble avoir cure ! Ce n'est pas écrit dans mon dossier sans doute.
J'ai pour compagne de lit une dame âgée que seuls son nombril et le bout de ses orteils semblent intéresser.
Pendant que je vomis, recroquevillée sur mon lit au-dessus d'une bassine, cette dame me parlera de son petit croissant qu’elle aura demain car elle rentre chez elle et que son mari ira lui acheter car, ceux de la clinique ne sont pas bons.
Elle ne s'est jamais aperçu de mes déboires digestifs et est retournée tranquillement se coucher après sa petite toilette.
Papy Camille et Mamie Paulette
Le lendemain, pendant que deux costauds et peu amènes brancardiers, dont un roumain surnommé le "Syrien", nous descendent, mon lit et moi, sans ménagement aucun, au travers des méandres des couloirs et ascenseurs, vers une tentative de rayons qui avortera finalement à la porte de la machine pour cause de "mal des transports" et surtout de vomissements intempestifs, la dame âgée a été remplacée par un couple. Une "mamé" des campagnes au visage enfantin, bonne pomme toute en sourire et joues rouges, que son mari accompagne tendrement après 66 ans de mariage. Ils sont là, se chamaillent un peu, se donne un bisou quand il repart le soir vers leur maison qui n'est qu'à 500 mètres. Il la coiffe le matin après la toilette, l'aide à s'habiller...
C'est Mamie Paulette et Papy Camille. C'est comme ça qu'ils se présentent. Et ils m'appellent par mon prénom. Il a 90 ans et elle 86, et ça les fait rire.
Nous aurons de longues discussions sur la vie, la mort, celle de leurs enfants morts-nés où qui ne vécurent pas assez longtemps mais qui leur ont sans doute donné cette force particulière qui les habite et les unit désormais.
Camille regarde sa femme s'en aller avec cette même tendresse et acceptation qu'a Lou lorsqu'il me voit décliner.
Papy Camille s'inquiète de me voir vomir tous mes repas. Certainement plus que les infirmières. Un jour, il m'apporte des "merveilles, le lendemain, des crêpes et des chouquettes", que leur ont apportées des amis : il veut me voir le sourire aux lèvres.
Entre le passage des blouses blanches roses ou bleues, les visites de leurs amis et les repas, Paulette et moi parlons de tout, racontons des bêtises, rions de nos faiblesses physiques et intimes que l'on est bien obligées de partager dans une chambre à deux lits... qui nous rendent dépendantes des aides soignantes, d'un bassin, ou d'une chaise percée. Nous avons de longues discussions sur les couples, de ce qui fait qu'ils tiennent le coup ou se délitent.
Elle sait qu'elle va mourir, comme je le sais. Mais nous voulons juste que ces quelques mois qui nous restent à vivre soient les moins pénibles, les moins douloureux possibles. Pour nous, et pour notre compagnon de route. Je n'en demande pas plus. Mais aurons-nous seulement cette chance ?
Nous savons la tristesse à venir pour nos compagnons.... Et je sais celle de ma petite fleur.
Ce fut une belle rencontre.
Putain de cancer.
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Jessica (mardi, 06 mars 2018 20:37)
Je suis de tout coeur avec vous.
J espère que les douleurs vont s atténuer.
Moi aussi je ne supporte pas le Tramadol. Je le vomis.
Merci à Mamie Paulette d être là. On se sent toujours plus fort à 2.
Marie (mardi, 06 mars 2018 21:48)
Très grandes et fortes pensées à ma Duchesse et Mamie Paulette
De tous cœur à vous
Gros bisous �
Evelyne (mercredi, 07 mars 2018 01:12)
Putain de cancer !
Et toi qui persistes à écrire ! Tes forces s'épuisent, mais il y a encore la force intérieure, et la lucidité. . .
Je t'embrasse, et François avec moi.
Nathalie RANC (mercredi, 07 mars 2018 08:41)
Le destin nous met des personnes admirables sur notre chemin....De tout coeur près de toi Anne-Marie, nous te soutenons bien fort dans cette épreuve. Continue ton récit, il est poignant et touchant, si cela te fais du bien...courage et force, toutes nos pensées vont vers toi.
gros bisous
Nathalie Franck Baptiste
Hélène (jeudi, 08 mars 2018 10:09)
Merci Anne-Marie, pour nous qui pouvons ainsi garder le lien avec toi, et pour la possibilité d'amélioration des soins du cancer, que ton témoignage porte en lui.
Anne Marie Joucla (mercredi, 14 mars 2018 00:14)
Je lis tes écrits lorsque je suis au calme, comme ils font du bien;
et c est pourtant toi qui te soigne...
Il faut y croire Anne Marie
Je t embrasse
Nicole (dimanche, 07 mars 2021 19:26)
Chère Anne Marie, je ne savais pas
Courage....