Je suis restée trois semaines à Dax.
J'en garde de bons moments en mémoire.
Balades en ville ou au bord de la rivière Adour, restaurants et brasseries, soirées de danse et de musique.
Et l'océan à quelques encablures.
Il y eut ce restaurant japonais (Hana Yuki) découvert à quelques mètres des thermes, auquel je me suis attablée plusieurs fois non sans une certaine jubilation...
Il y eut la bière pression de cette Abbaye belge de Leffe, dorée et plantureuse et le smoothie à la mangue et aux feuilles de menthe, pris sur les balcons de l'Adour.
Et aussi les tapas aux milles saveurs et le Jurançon fruité d'un samedi soir de concert, rue Neuve, au "Bistrot des Vignes".
Et puis, ce soir de chaleur et de vent tiède, et ce repas frugal pris sur la terrasse commune des studios, en compagnie de la Ch'tite Isabelle, ma voisine venue du Nord : il y avait au loin, cette nuit-là, au-dessus des toits de Dax, vers les horizons sud, un inexplicable ballet, clignotant et incessant d’hélicoptères, alors que sur les murs des courettes calmes et sombres, la silhouette d'un chat déambulait nonchalamment avec cette élégance si particulière qu'ont les chats. Sans un regard vers nous.
Il y eut aussi de grosses gambas grillées à la plancha, une nuit, au bord du lac d'Hossegor, pris avec la même Isabelle et une de ses amies dacquoise, aficionado de toros et de tango, en mal d'amour et de compagnie, dans un brouhaha déconcertant et des odeurs de boui boui et de fête foraine....
Et puis il y eut aussi une journée passée au bord de l’océan.
Hossegor.
Le nom avait un goût de sel, d'embruns et d'éclats de vif argent.
Il m'était venu des envies de cabanes à huîtres, de rouleaux puissants, mousseux et salés, de sable doux et humide, de vents venus du large porteurs de murmures venus d'outre Atlantique...
J'en étais à chercher un moyen de m'y rendre lorsque le Troll solitaire et voyageur, celui qui fut roulé boulé, voici un an déjà, cul par-dessus tête dans notre jardin par sa propre caravane (à laquelle il doit le surnom que je lui ai donné...) et avec laquelle il s'était engagé bien imprudemment sur notre petite colline, le Troll donc, est venu me surprendre dans ma retraite landaise... où j'eus soudain, le sentiment étrange et désagréable d'être piégée.
Une fois sa caravane arrimée dans un camping de St Paul-les-Dax, ses invitations se sont enchaînés et, de propositions de repas dans des auberges landaises, en Chalosse, en invitations à dîner et à déjeuner, ici et là, il a ainsi grignoté rapidement mes marges de manœuvre et de liberté.
Cette insistance eut tôt fait de m'agacer. Le malaise est allé grandissant.
J'ai tenu bon autant que je l'ai pu. Acceptant ici mais refusant là.
Je ne voulais pas non plus le froisser.
Le bougre n'est pas méchant.
Dilemne.
Mais sa façon de faire est décidément trop paternaliste à mon goût : ce que je n'ai jamais pu supporter.
Une autre génération ? Possible...
J'ai également voulu continuer à lui accorder des intentions purement amicales de sa part, ce qui est peut-être le cas, mais le doute s'est insinué en moi, peu à peu. Ce qui m'a pas mal perturbée.
J'ai malgré tout réussi, non sans mal, à négocier, en lieu et place du confit et foie gras en Chalosse qu'il proposait, une cabane ostréicole au bord du lac d'Hossegor. Il a fini par accepter.
C'est donc vers l'océan que nous avons mis les voiles en ce dimanche 4 septembre.
Mais j'ai vite déchanté.
Après un passage obligé par son camping où une coupe de champagne m'attendait, mais qui, avalée à 11 h du matin, me fusilla la tête et l'estomac, puis un détour par d'innombrables petites routes forestières à la recherche de l'auberge - une idée fixe - qu'il avait dénichée sur son Guide du Routard, heureusement fermée le dimanche, nous sommes enfin arrivés au "fond du lac" d'Hossegor, juste à temps pour dénicher une des dernières tables encore inoccupées, dans l'une des trois cabanes ostréicoles que j'avais repérées sur Internet : celle des "filles Labarthe", appelée aussi "Lou casaou de le ma" en patois landais, qui s'avéra un très bon choix.
De belles huîtres, posées sur un lit d'algues brunes, ouvertes mais avec leur couvercle : ce qui donna des sueurs froides à "mon" Troll, qui se vit déjà en train de devoir ouvrir deux douzaines d’huîtres avec la seule aide de son énorme couteau pliant avec lequel il avait découpé son entrecôte au restaurant, la veille... !
Je ne sais si cette "recette" aux algues renforce leur saveur iodée mais ces huîtres étaient particulièrement goûteuses !
Le tout fut arrosé d'un Jurançon sec, frais juste ce qu'il faut, accompagné de tartines de pain de seigle et beurre salé.
Il n'en fallait pas plus pour mon bonheur.
Nous n''avions pas une des meilleures tables, car il aurait fallu arriver plus tôt, mais qu'importe.
Et la jeune fille qui nous servit fut tout sourire !
Pendant le repas, Le Troll se montra fort peu disert : nous mangeâmes en quasi silence. Consciencieusement.
Moi, parce que le sachant sourd à peu près comme un pot, j'en étais arrivée à la conclusion qu'il ne me servait à rien de m'égosiller, le bougre ne m'entendant pas... ce qui fut sans doute parfois cause de malentendus entre nous ?
Et lui, parce que n'ayant sans doute pas grand chose à me dire hormis ses bons plans "promo" du Lidl en Allemagne ou au Discounter près de chez lui, qui ne me passionnèrent pas outre mesure.
L'après-midi avançant, Le Troll a repris sa voiture et nous sommes allés, enfin, au bord de l'océan !
Oserai-je dire qu'il conduit mal ? Nous avons "mangé" je ne sais combien de bordures de trottoirs et mon dos eut à pâtir, malgré ma ceinture lombaire, des nombreux ralentisseurs, pris à trop grande vitesse...
A part cela, le trajet se fit comme le repas, en silence, la dame du GPS parlant pour deux, au son des bips incessants et tonitruants des alarmes de dépassement de la vitesse autorisée.
Après avoir pas mal tourné à la recherche d'une place où Le Troll pouvait garer sa voiture, dont l'arrière est occupé par un impressionnant capharnaüm sans nom, allant de jerrycans multiples, aux sièges pliants, en passant par une paire de pneus et une bouteille de gaz (heureusement nous n'avons pas été arrêtés sinon nous aurions été pris pour des terroristes) sans avoir trop à manœuvrer.
La voiture garée, nous voici en quête de vagues.
Le Troll a pris sa canne et son pliant. Et en avant ! Enfin un peu d'air ! Saturé de cette odeur d'iode si prenante et si caractéristique de l'océan. De petits groupes de surfeurs s'égrenaient le long de la route avec leur planche : nous étions sur la bonne voie.
Mais en me retournant je m'aperçus que j'avais perdu "mon" Troll en chemin ! Il était plus loin, en grande conversation avec un surfeur qui ôtait sa combinaison et rangeait son "board" dans un vieux van... le Troll me fit de grands signes. Je rebroussai donc chemin. Le surfeur ne parlait qu'anglais. Il répondit gentiment au Troll barbu, et j'ai joué à la traductrice : oui, la plage était juste derrière la dune (je m'en doutais un peu !... Où pouvait-elle être sinon derrière la dune ?) et oui, il y avait des vagues (tiens donc ? des vagues avec le vent qu'il faisait...?) et oui encore c'était un bon spot. OK. Let's go !
Nantis de ces précieuses informations, nous sommes enfin repartis en direction de la plage.
Las, la dune fut une épreuve des plus pénibles pour le Troll qui n'arrivait presque plus ni à marcher ni à respirer. Avec mon dos en marmelade, je n'avance guère vite non plus. Nous avons fait d'innombrables pauses.
Sur le sable, l'épreuve du Troll empira. Je le plaignais intérieurement... Dire qu'en plus c'était moi qui l'avais entraîné ici... Petit sentiment de culpabilité...
Heureusement un blockhaus peinturluré lui a offert un socle stable pour son siège pliant et il a pu enfin s'installer.
Je l'ai laissé sur son piédestal et ai dévalé, précautionneusement, la dune, vers la frange d'écumes et de rouleaux qui déferlaient maintenant à quelques mètres de moi.
Je suis restée, avec une joie grandissante, là où les vagues viennent mourir, me faisant éclabousser en gerbes moussues, tièdes et échevelées lorsque poussées par une houle plus forte elles venaient s'écraser plus violemment !
Les surfeurs ne pouvaient pas garder longtemps leur équilibre et étaient jetés pêle-mêle dans les clapots et les tourbillons.
Le ciel était laiteux, presque blanc à force d'embruns.
C'était beau.
J'étais bien.
Le corps exultait dans une jouissance silencieuse toute en concentration.
Mes lèvres avaient un goût salé.
Je m'allégeai enfin de la lourde présence de "mon" Troll à la Barbe Fleurie.
Mais il me rejoignit bien vite. Et resta un moment assis là, son pliant s'enfonçant mollement et lentement dans le sable...
Puis il tenta de prendre des photos des surfeurs, ce qui s'avéra assez vite à peu près impossible.
Il était temps de partir.
J'étais déjà sèche et me rhabillai donc rapidement. Cette fois direction le centre d'Hossegor et un café.
Je pris un smoothie, le Troll aussi.
Il lui fallut un bon quart d'heure, pour s'apercevoir que le bar où nous étions installés proposait également des bières pression ! Il en commanda une, énorme, dans un verre gros comme un bocal à boisson ! Ce qui fit rire et jaser le couple de la table voisine. L'homme, d'origine espagnole, finit par demander, élégamment, au Troll si "ça" ne le faisait pas trop... pisser. Et "mon" Troll, trop content d'avoir enfin un interlocuteur à sa mesure, de raconter par le menu ses fêtes de la bière à Munich.
J'ai siroté lentement mon smoothie, laissant doucement avancer le temps vers la fin du jour.
Enfin la soirée s'est annoncée, et c'est au bord du lac, assis sur un banc comme deux vieux, Le Troll refusant de faire un pas de plus dans le sable, que nous avons regardé les enfants jouer et les véliplanchistes rentrer, avant d'aller encore manger des huîtres...
Je n'ai plus revu "mon" Troll depuis cette journée mémorable et, lui ayant refusé un repas de plus dans une ferme auberge, je n'ai plus eu de nouvelles de sa part non plus.
Mon dernier SMS est resté sans réponse.
Que lui est-il arrivé ? S'est-il fâché ? C'est probable.
La chaleur et les jours ont décliné depuis.
L'été s'est terminé lentement.
J'ai enfin retrouvé Lou et la colline avec un immense plaisir.
Ainsi va la vie.
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