Ce corps qui est mien, et que je vois depuis des mois, au travers des miroirs, n'est pas celui que je connais.
Chaque fois c'est une vision perturbante que me renvoie le reflet de la glace. Je ne m'y fais pas.
C'est un corps démoli. Déglingué. En déconstruction.
Je dois mettre toutes les pièces de ce puzzle à plat, les trier, les comprendre, avant de pouvoir imaginer la reconstruction d'une autre image.
Autre car elle ne sera jamais la même que celle d'avant.
Autre, mais que j'accepte pourtant déjà avec amour, car cette image reste la mienne. C'est moi. Un moi qu'il me faut seulement encore apprivoiser.
Ce corps qui a refusé de mourir, qui a mis tout en oeuvre pour continuer à tenir debout, même lorsque j'étais à terre, alors qu'il était jeté dans un maelstrom de feu, ce corps qui panse lentement ses plaies, et se remodèle dans une argile de chair et de sang, sans pour autant oublier ce terrible voyage sur les Territoires du Crabe, ce corps, c'est le mien.
Je n'en ai pas d'autre et je l’aime. Et le remercie.
Nous avons fait ce voyage ensemble. Car, Moi et lui ne font qu'un.
Nous nous en sommes sortis ensemble !
Ce corps que le pilon de l'ostéoporose a tassé ressemble désormais à une bonbonne.
Ma colonne vertébrale est en zigzag, elle a du mal à se redresser et j'ai du mal à trouver mon équilibre lorsque je me met debout, et surtout quand je marche.
Quant à ma peau elle est flétrie.
Vieille pomme... Sur laquelle ont cependant repoussés de nouveaux cheveux tout bouclés et soyeux.
Tout n'est pas aussi noir !
Ah Bon Dieu qu'c'est embêtant d'être toujours patraque...
Et puis, lorsque se dessine ma silhouette, il y a mon sein perdu.
Celui que je nomme mon "Chrysanthème", fleur impériale et immortelle au Japon, car il est immuablement présent même dans cette absence. Il a fait place à un griffon, sorte de fin petit dragon qui laboure de sa griffe cette moitié de poitrine à la fois plate et bosselée !...
Sous la peau, le peu de chair et de muscle que l'on m'a laissé forme de minces bourrelets durs qui s’agrippent aux côtes désormais apparentes.
Durs, car les rayons les ont durcis. A jamais semble-t-il. Les massages, les applications de crèmes, huiles, onguents, pommades, n'y font rien. Le temps peut-être atténuera cette apparence de champ de bataille.
Son frère jumeau a été également flagellé par cette guerre. Il est amoindrie, se laisse aller, a perdu toute insolence... Doux et rose encore, mais surmonté de cette lunule que forme le Port-à-Cath encore implanté sous ma peau. Pour ne pas oublier...
Les abdominaux sollicités par chaque mouvement, et puis des muscles dont je ne soupçonnais l'existence, ne répondent presque plus et laissent tomber mes vertèbres. Elles en profitent pour pincer quelques nerfs de ci de là.
Dans le tableau il ne faut pas oublier mes pieds toujours ankylosés ou qui "fourmillent" mes jambes qui me brûlent la nuit, titubent et flageolent le jour.
Lorsque l'on me croise dans la rue, l'on me dit "ça va ?".
On me croit guérie : je n'ai plus de traitement. Donc c'est fini.
On s'étonne un peu de me voir ralentie, fatiguée... De marcher à la vitesse d'une tortue...
Mais je réponds que oui, ça va.
Que dire d'autre, je ne vais pas me mettre à énumérer sur un air bien connu :
J'ai l'thorax qui s'désaxe
La poitrine qui s'débine
Les épaules qui se frôlent
J'ai les reins bien trop fins
Les boyaux bien trop gros
J'ai l'sternum qui s'dégomme
Et l'sacrum c'est tout comme...
J'ai l'nombril tout en vrille
Et l'coccyx qui s'dévisse.....
Et pourtant... Non ça ne va pas. Pas encore.
Si le Crabe ne revient pas, ne revient jamais, se nicher quelque part dans ce corps amoindri, alors oui, ça ira.
Lorsque le petit dragon cessera de tirailler, pincer, griffer et emprisonner ma poitrine, alors oui ça ira.
Lorsque mon dos se libérera de ces douleurs diffuses qui lancent parfois leurs piques ou décharges électriques, alors oui, ça ira.
Lorsque ma bouche en aura terminé avec cet acide qui brûle langue et gencives, alors oui ça ira.
Lorsque les analyses de sang, les mammographies, les échographies, les ostéodensitométries et toute la liste des examens à venir seront correctes, alors oui, ça ira.
Lorsque qu'enfin ma cage thoracique desserra son étreinte alors oui : je respirerai !
Mais, pour autant, je ne perds pas de vue l'essentiel : je vis, et suis tellement heureuse de vivre ! C'est rien de le dire.
Je marche, un peu, je reprends ma voiture pour faire les quelques kilomètres qui me séparent de mes "soignants", je vais revoir mes amies, et même, j'ai réussi à faire quelques brasses dans la piscine (chauffée !) de l'une d'entre elles !
Des exploits que je n'osais imaginer il y a seulement trois ou quatre mois de cela.
Chaque petit tour sur la colline m'apporte une bouffée d'air frais et parfumé de chèvrefeuille et serpolet !
Les oiseaux migrateurs sont revenus par centaines et les petits encore au nid piaillent dans tous les buissons, charmilles et branches de chênes ou d'érable ; les papillons aussi ont effectué le voyage vers chez nous depuis l'Afrique ou je ne sais quelle contrée du sud, et notre passage sur le sentier fait voler en petits éclats de bruns, orangés ou bleus des dizaines d'ailes colorées.
Curieusement, c'est sans doute même tous ces tracas et bobos qui me donnent ce goût si piquant et si particulier pour tous ces instantanées que la vie m'offre tous les jours ! Le sel de la vie !
Le soir dans mon lit, mes doigts apprennent par coeur le nouvel aspect de ma poitrine, ses méandres, crevasses et bosses.
J'ai quand même acheté un faux sein, en silicone, tout doux, ferme et mou à la fois. Il adhère par des sortes de petits crampons à la peau. Ce n'est pas très agréable à porter, mais je retrouve ainsi, le temps d'une sortie, ou d'un après-midi à la maison ces deux "collines" rondes que mes yeux étaient habitués à voir, et contemplent à nouveau.
Il ne m'en faut pas plus.
Documents
Remboursements des prothèses mammaires externes (2016)
Depuis le 4 avril 2016 un arrêté précise les nouvelles conditions de remboursement des prothèses mammaires externes.
Jusqu'à présent seules les prothèses de la marque Amoena de type "Contact" étaient remboursées à 100% par la Sécurité Sociale. Désormais presque toutes les autres prothèses seront remboursables.
voir le texte (Légifrance) de l'arrêté ICI . Cet arrêté a pris effet le 1er mai 2016.
Le remboursement se fait désormais sur le barême suivant :
- Prothèse textile (juste après l'opération) : 25€
- Prothèse standard en silicone : 180€ (Amoena contact par exemple)
- Prothèse technique en silicone : 240€
Voir les differentes sortes de prothèses proposées par Amoena ICI
Voir les modalités des différents remboursements ICI
En gros, la législation prévoit le remboursement d'une prothèse en silicone tous les 18 mois.
Sauf dans deux cas :
- Pour un premier renouvellement : le remboursement sera possible au bout de 12 mois
- Si le médecin mentionne sur sa prescription un changement de morphologie ou un lymphoedème.
C'est le chirurgien ou le médecin traitant qui indiqueront sur le formulaire "Ameli" adequat si vous avez besoin d'une prothèse standard ou technique. Sans ce formulaire, aucun remboursement ne pourra être établi.
Si néanmoins, vous désirez une prothèse mammaire technique et que votre prescription indique une prothèse standard, la sécurité sociale prendra en charge 180€ (les 60€ restants seront à votre charge).
Vivre avec une prothèse externe : vidéo
Evidemment la vie après une mastectomie ne devient pas, du jour au lendemain aussi "rose bonbon guimauve" que dans la vidéo ci-dessous, loin s'en faut, mais pour celles et ceux qui s'interrogent sur le port d'une prothèse externe c'est un petit aperçu..
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